
La 22e conférence mondiale sur le sida, organisée par une société savante, l’International Aids Society (IAS), débute lundi à Amsterdam. La première de ces AIDS conférences a eu lieu en 1985, seulement deux ans après l’isolement du virus par Françoise Barré-Sinoussi, qui obtiendra le Prix Nobel de médecine en 2008 pour cette découverte.
Atlanta 1985, première conférence sur le sida. Amsterdam 2018, 22e conférence sur le sida. Entre ces deux villes, entre ces deux dates, quels changements ?
Depuis 1985, il y a eu plus de 35 millions de morts, plus de 75 millions de nouvelles contaminations, nous sommes passés des premiers tests Elisa (Pasteur) aux autotests achetables en pharmacie. Nous sommes passés d’une quasi-absence de traitement (à part quelques molécules inefficaces pour des stars désespérées) à un éventail de molécules (pour nous, les séropositifs des pays riches) qui permettent de vivre avec le VIH dans des conditions acceptables, toujours au Nord, car pour l’instant au Sud le choix des molécules est plus restreint.
Nous sommes passés des grandes peurs de la population à une sorte de banalisation contre-productive. Nous sommes passés du «hors le préservatif pas de salut», à la Prep (prophylaxie de pré-exposition) et/ou au préservatif. Nous sommes passés du séropositif vu comme «une bombe virologique» au séropositif traité avec charge virale indétectable qui ne transmet pas de virus, résumé par U = U (Undetectable = Untransmittable).
Mais alors, tout va beaucoup mieux ? Devons-nous continuer ces grandes manifestations durant lesquelles le sujet principal est et reste le VIH ? Ne devons-nous pas globaliser tous ces problèmes de santé, et faire rentrer le VIH dans le moule et le cadre de toutes les maladies ? «On» nous dit que si on ne le fait pas, «on» perdra sur tous les tableaux, car il n’y a plus d’argent !
Qu’il n’y ait plus d’argent, cela ne m’a pas frappé, surtout ici, au Nord, que ce soit à Paris, ou Amsterdam, ou Londres… Et puis ce discours du sida trop présent, trop individualiste, trop cantonné dans son coin, dans ses «cibles», ses «populations clés», je l’entends depuis trente-deux ans, certes avec une augmentation constante en intensité au fil des ans, au fur et à mesure que l’industrie pharmaceutique a fait des progrès pour endiguer le virus, pour le canaliser, le réduire aux réservoirs pas encore vidés et nettoyés. Car, bien sûr, dans les premières années, les sociétés établies de médecins et les mandarins installés étaient tellement estomaqués par l’arrivée de ces nouveaux patients, si différents, si habituellement invisibles, fussent-ils usagers de drogues, homosexuels, trans, bisexuels, originaires d’autres pays, travailleurs et travailleuses du sexe, qu’ils n’étaient pas pressés d’inclure le VIH/sida dans une santé globale. Ils étaient tellement peu prêts, qu’ils préféraient se séparer de certains assistants ou assistantes, jeunes, impliqués dans la prise en charge de cette nouvelle maladie, qui n’avaient pas peur de fréquenter ces infréquentables patients que la bourgeoisie médicale post-giscardienne ne souhaitait pas considérer. Alors il a fallu inventer de nouvelles façons de travailler, de trouver de l’argent, de se construire, de faire des projets et cela a marché, l’Onusida a pu voir le jour, le Fonds mondial a été créé, Unitaid a été créé, la Coalition Plus a été créée.
N’oublie-t-on pas ?
N’oublie-t-on pas que le sida est dû à un virus et qu’on a les moyens de l’éradiquer ? Qu’il reste quelques années d’efforts à faire pour qu’il n’y ait plus de contaminations, pour que peut être un vaccin voit le jour ? Et que ces milliards qui sont récoltés pour lutter contre cette infection sont (la plupart du temps) utilisés à bon escient et portent leurs fruits. N’oublie-t-on pas un peu trop vite que pour l’instant (jusqu’en 2016) près de 7000 personnes se contaminent encore en France ? N’oublie-t-on pas un peu trop vite que même dans les pays du Nord, où les systèmes de santé sont censés être performants, une brèche persiste sur le nombre de personnes que nous arrivons à amener au dépistage et bien sûr au traitement quand cela est nécessaire ?
N’oublie-t-on pas un peu trop vite que nombreux sont encore ceux et celles qui dans une grande partie du globe ne peuvent pas se faire dépister, car un résultat positif signifie une quasi-peine de mort, puisque en même temps que la maladie, c’est un mode de vie inacceptable pour la famille, le voisinage, la société, le gouvernement qui est révélé ? N’oublie-t-on pas un peu trop vite qu’il n’y a pas que dans des quartiers protégés d’une capitale qui s’étend du Champ de Mars au parc de la Villette, que le VIH se transmet, que le sida existe, que les séropositifs vivent ?
Pense-t-on vraiment que le niveau de prise en charge des gays, des UD ou des trans est d’un tel niveau d’excellence en Afrique subsaharienne (francophone ou anglophone) en Asie, ou en Amérique du Sud, qu’on puisse passer à autre chose ? Il ne suffit pas d’avoir des traitements disponibles pour bien soigner, tous les cliniciens le savent bien. Nous avons des traitements, faisons-les fonctionner ! Écrasons la charge virale, permettons l’arrêt des transmissions par le changement des lois. Globaliser tout serait une bonne chose si le sida était maîtrisé, si les objectifs fixés par l’Onusida étaient en passe d’être atteints, mais hélas cela n’est pas le cas.
Arguments
Alors je ne sais pas si ces conférences sont utiles, car parmi tous ceux qui se rencontrent au cours de ces moments, un consensus existe, autour des outils, des stratégies, des moyens pour en finir, mais ce que je sais, c’est que cela permet de parler dans la «vraie vie» de ce virus qui nous a arrachés tant de nos amis, de nos amours, c’est que cela nous permet, en dehors du convenu 1er décembre et ses regrets récurrents, d’avoir une actualité partagée sur l’infection à VIH, sur la vie des patients dans tel ou tel pays, cela nous permet d’être vivant et d’exister, de savoir que l’on n’est pas seul, de mesurer le parcours réalisé, de se compter, de se revoir.
Mais nous devons rester humbles, toujours, humbles mais en colère, humbles mais rageurs, humbles mais accessibles à tous et ne pas vouloir être à la fois le porte-parole du politiquement correct et du bon goût de l’intelligentsia. C’est la colère qui a poussé les premiers militants à s’investir, c’est la rage qui animait Daniel Defert pour créer Aides, c’est la colère qui habitait Willy Rozenbaum pour se battre pour une meilleure prise en charge, c’est une énergie guerrière qui inondait Christine Katlama pour tenir à bout de bras ses patients. Et nous avons toujours besoin de ces sentiments, de ces forces, de ces soldats de l’espoir pour faire reculer l’épidémie, et circuler l’information. Nous n’avons pas besoin d’un cercle d’initiés qui s’autocongratule autour du meilleur mot ou du meilleur visuel vu par un quarteron de privilégiés aussi fortement diplômés qu’éloignés de l’épidémie.
Car s’il fallait encore donner des arguments pour faire perdurer une lutte forte et spécifique contre le sida, il faut rajouter que les avancées énoncées au début du texte sont la plupart du temps constatables sur le papier seulement, car malgré l’intransmissibilité du virus par les séropositifs traités, la sérophobie dans le milieu gay, et dans la société tout entière, non seulement existe toujours mais grandit, malgré les nombreux résultats favorables à l’utilisation de la Prep comme outil de prévention, nombreux sont ceux qui encore, non seulement la dénigrent, mais pire encore, considèrent ceux qui l’utilisent comme des pervers. Alors si vous me demandez, si une conférence sur le sida est utile, si vous me demandez si un système de prise en charge spécifique est encore nécessaire, ici ou ailleurs, vous aurez compris que ma réponse est oui, oui et oui.
Tant que la discrimination existera envers les personnes séropositives, tant que dans une grande partie du monde, les gays, les usagers de drogues, les personnes trans, et les travailleuses et travailleurs du sexe seront poursuivis, malmenés, emprisonnés, tabassés, tués, la lutte contre le sida devra rester une priorité en termes de santé mondiale, certes en lien avec d’autres maladies souvent associées, telles que les hépatites, la tuberculose ou les IST. Sans un renforcement notable d’un investissement financier, notre génération ne verra pas la fin des contaminations.
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