
Une fascinante étude récente suggère qu’un apport alimentaire réduit en un seul acide aminé, la méthionine, réduit la croissance de tumeurs colorectales et améliore leur réponse aux traitements anticancéreux.
Une caractéristique fondamentale des cellules cancéreuses est leur capacité à croître indéfiniment. Cette croissance incontrôlée requiert bien entendu un apport constant en énergie et c’est pour cette raison que les cellules cancéreuses ont un métabolisme différent des cellules normales.
En théorie, il serait donc possible d’empêcher, ou du moins ralentir, la croissance du cancer en privant les cellules cancéreuses des nutriments essentiels à leur métabolisme anormal, une approche connue sous le nom de « thérapie métabolique ».
Le cas du sucre
Évidemment, quand on parle de métabolisme du cancer, on pense immédiatement au sucre, car il est indéniable que les cellules cancéreuses présentent un métabolisme du sucre nettement accéléré comparativement aux cellules normales (ce qu’on appelle l’effet Warburg).
Dans certains cas bien précis, il a été montré qu’une restriction en sucre (à l’aide d’une alimentation de type cétogène, par exemple) améliorait effectivement la réponse à certaines classes d’agents anticancéreux (inhibiteurs de la PI3K(1). Par contre, ce n’est pas parce que le cancer se nourrit de sucre que manger moins de sucre ralentit nécessairement sa croissance, comme on l’entend souvent dire : d’autres études ont montré que cette sensibilité à l’absence de sucre n’est pas observée chez plusieurs types de cellules cancéreuses et est même en réalité assez rare. Il doit donc sûrement exister d’autres voies métaboliques qui permettent aux tumeurs de soutenir leur croissance incontrôlée.
Une question d’acides aminés ?
Au cours des dernières années, plusieurs études ont montré que l’absence de certains acides aminés (les précurseurs des protéines) dans l’alimentation, par exemple la glycine, la sérine, la méthionine ou encore l’asparagine, pouvait moduler la croissance de plusieurs types de cancers.
Un des cas les plus intéressants est celui de la méthionine, un acide aminé contenant un atome de soufre qui joue plusieurs rôles fondamentaux dans le contrôle du métabolisme et de la synthèse des constituants de l’ADN. Cette importance est d’ailleurs bien illustrée par le fait que certains agents anticancéreux de première ligne, comme le 5-fluorouracil (5-FU) ou encore la radiothérapie, exercent justement leurs effets en ciblant les voies métaboliques impliquant la méthionine, suggérant qu’une carence de cet acide aminé pourrait perturber la croissance des tumeurs.
Les résultats d’une étude récemment parue dans le prestigieux Nature vont dans ce sens(2). En utilisant des modèles animaux porteurs de tumeurs colorectales résistantes à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, les chercheurs ont observé qu’une alimentation pauvre en méthionine était associée à une diminution marquée de la croissance de ces tumeurs et à une augmentation de la réponse thérapeutique au 5-FU et à la radiation. Ces effets sont corrélés avec une baisse très rapide (en moins de 2 jours) des niveaux de méthionine dans la circulation sanguine, ce qui prive les cellules cancéreuses de cet important acide aminé et les rend plus susceptibles aux attaques par les agents anticancéreux. Les cellules normales, quant à elles, possèdent la capacité de recycler la méthionine et sont donc moins sensibles à une diminution de son apport alimentaire.
Il est encore trop tôt pour savoir si cette restriction de l’apport en méthionine pourrait améliorer la réponse thérapeutique au cancer, mais les résultats préliminaires sont encourageants.
Dans une étude pilote réalisée en parallèle auprès d’hommes en bonne santé, les auteurs ont montré qu’une diminution de la méthionine d’origine alimentaire ne génère pas d’effets secondaires notables. Il est aussi intéressant de noter qu’il est tout à fait possible d’atteindre les faibles niveaux de méthionine en adoptant un régime alimentaire principalement composé d’aliments d’origine végétale.
En effet, la méthionine est principalement présente dans les aliments d’origine animale comme la viande et les produits laitiers, tandis que les fruits, légumes et légumineuses en contiennent beaucoup moins(3).
Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais ces résultats permettent d’envisager qu’à court ou moyen terme, il sera possible de recommander aux personnes traitées pour un cancer d’adopter certains régimes alimentaires bien précis pour maximiser la réponse thérapeutique et augmenter leur probabilité de survie.
(1) Hopkins BD et coll. Suppression of insulin feedback enhances the efficacy of PI3K inhibitors Nature 2018; 560: 499–503.
(2) Gao X et coll. Dietary methionine influences therapy in mouse cancer models and alters human metabolism. Nature 2019; 572: 397-401.
(3) Ables GP et JE Johnson. Pleiotropic responses to methionine restriction. Exp. Gerontol. 2017; 94: 83-88.
ALIMENTS | Contenu en méthionine (mg /100g) |
Bœuf | 680 |
Volaille | 610 |
Veau, agneau et gibier |
600 |
Fruits de mer | 590 |
Porc | 575 |
Produits laitiers et œufs | 410 |
Noix et graines | 320 |
Légumineuses | 200 |
Farines et pâtes alimentaires | 160 |
Légumes | 40 |
Fruits | 10 |
https://www.journaldemontreal.com/2019/10/06/affamer-le-cancer
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