Search

Immunothérapie: Nobel salue une révolution contre le cancer

Utiliser le système immunitaire pour tuer les cellules cancéreuses : cette découverte change la donne pour de nombreux malades.

Le prix Nobel de médecine 2018 a récompensé une découverte qui révolutionne aujourd'hui la prise en charge du cancer : l'immunothérapie. Chacun de leur côté, l'Américain James P. Allison, et le Japonais Tasuku Honjo ont mis à jour des molécules permettant de lever les freins de notre système immunitaire, pour qu'il puisse s'attaquer aux cellules cancéreuses. "Cela a permis d'établir un tout nouveau principe pour soigner le cancer", a souligné l'Assemblée Nobel de l'Institut Karolinska à Stockholm. Explications. 

En quoi consiste la découverte des deux lauréats ?

Depuis toujours, les cancérologues ont cherché à lutter contre le cancer en s'attaquant directement aux cellules tumorales : il s'agissait de les éliminer ou de les détruire par la chirurgie, la radiothérapie ou la chimiothérapie. James P. Allison, puis Tasuku Honsu, eux, ont trouvé chacun de leur côté des moyens d'agir sur le système immunitaire, de façon à ce que nos lymphocytes T, ces globules blancs qui défendent normalement notre organisme contre les agressions extérieures (virus, microbes...) s'attaquent également aux cellules cancéreuses.  

James P. Allison a développé un anticorps monoclonal capable de venir bloquer l'action d'une molécule appelée CTLA-4 présente à la surface des lymphocyte T, et qui agit comme un frein. Il a été le premier à montrer chez des souris, dans un article paru dans Science en 1996, qu'un tel médicament pouvait entraîner une diminution, et dans certains cas une disparition complète, des tumeurs et de leurs métastases. Tasuku Honjo, lui, a découvert un autre "frein" du système immunitaire, PD1, et a développé une molécule pour bloquer ce frein. "C'est un paradigme révolutionnaire : on vient aider les patients à soigner leur cancer avec leurs propre globules blancs", résume le Dr Aurélien Marabelle, de Gustave-Roussy, un des centres français aujourd'hui les plus en pointe dans l'utilisation et les recherches sur l'immunothérapie.  

LIRE AUSSI >> Contre le cancer, les molécules de l'espoir 

Cette voie avait pourtant d'abord reçu un accueil mitigé de la communauté des cancérologues, car de précédentes tentatives d'utilisation du système immunitaire dans les années 1970 et 1980 s'étaient soldées par des échecs. Mais des essais cliniques chez l'homme ont fini par montrer, d'abord à toute petite échelle, le potentiel de cette piste. Aujourd'hui, les immunothérapies font partie des traitements les plus prometteurs contre le cancer, et l'industrie pharmaceutique investit massivement dans ce domaine. 

Contre quelles tumeurs les immunothérapies sont-elles efficaces ?

De multiples essais cliniques ont démontré des résultats intéressants dans une trentaine de cancers. Aujourd'hui, ces traitements sont déjà remboursés en France notamment dans le cancer du poumon en première intention ou en deuxième intention après échec de la chimiothérapie ; dans le mélanome métastatique (une redoutable affection de la peau) ; dans les cancers du rein également en deuxième intention ; et depuis peu dans les cancers ORL.  

L'efficacité est très variable selon les tumeurs. Jusqu'à 40% des patients atteints d'un mélanome sont encore vivants et sans rechute cinq ans après le début de ce traitement - un délai au bout duquel les cancérologues commencent à oser prononcer le mot de "guérison", alors qu'il n'y avait jusqu'ici aucun traitement réellement efficace contre cette pathologie. Dans les affections du poumon, il peut y avoir entre 20% et 40% de "répondeurs" : "Ce sont des malades pour lesquels la tumeur et les métastases régressent d'au moins 30%. Mais au-delà, nous avons aussi des patients dont la maladie se stabilise pour des durées parfois assez longues, et qui bénéficient donc aussi de ces thérapies", précise le Dr Marabelle. Et dans les essais cliniques encore en cours, de vrais miracles ont parfois pu être observés : "Un de nos patients atteint d'un cancer du pancréas est toujours en rémission. Il a eu deux ans de traitement, que nous avons interrompu voilà six mois : il n'a pas rechuté depuis, et vit normalement", s'enthousiasme le médecin.  

Tous les traitements validés sont-ils disponibles en France ?

C'est l'un des points noirs du succès de l'immunothérapie : ces médicaments sont très onéreux, et n'arrivent sur le marché que lentement. "Dans le lymphome de hodgkin en rechute, 70% des patients répondent, et il existe une autorisation de mise sur le marché européenne. Mais pour l'instant les autorités sanitaires française refusent le remboursement, et demandent des études complémentaires", déplore Aurélien Marabelle, regrettant aussi le blocage des discussions dans le traitement du cancer de la vessie. Une indication pour laquelle il existe également une AMM européenne, et que d'autres pays européens acceptent de prendre en charge. Aux Etats-Unis, ces traitements sont également remboursés dans le cancer de l'estomac, de l'oesophage et du foie, ainsi que dans le cancer du rein en combinaison (anti-PD1 et anti-CTLA4). 

LIRE AUSSI >> Pourquoi les nouveaux médicaments sont si chers 

Y a-t-il des effets secondaires ?

L'immunothérapie est généralement beaucoup mieux tolérée que la chimiothérapie. Ici, pas de nausées, de vomissements, de chute de cheveux ou de douleurs neuropathiques. En revanche, une fois débloqué, le système immunitaire peut parfois s'en prendre par erreur aux cellules "saines", avec pour résultat le développement d'affections auto-immunes : maladies thyroïdiennes ou rénales, colite inflammatoire, diabète, lupus... Environ 10% des patients seraient concernés, mais ces effets seraient le plus souvent réversibles. 

Quels sont aujourd'hui les axes de recherche ?

"La première urgence est de comprendre pourquoi jusqu'à 70% des patients ne répondent pas à ces traitements", souligne Laurence Zitvogel, de Gustave-Roussy. Cette experte a montré que les dérèglements du microbiote intestinal pouvaient être en cause. "Ils entraînent un dysfonctionnement global du système immunitaire", explique la chercheuse. Mais il reste encore beaucoup à découvrir : d'où viennent ces dérèglements, comment ils agissent sur l'immunité, etc. Une autre piste d'amélioration consiste à chercher, chez les patients répondeurs, des marqueurs qui permettraient de mieux identifier à l'avenir les malades à qui donner ces médicaments.  

Les chercheurs s'attachent aussi à analyser les causes de rechute chez les malades pour qui l'immunothérapie avait dans un premier temps fonctionné. C'est là, notamment, que les combinaisons de thérapies traditionnelles et d'immunothérapies pourraient devenir intéressantes : "Nous pensons que les cellules tumorales agressées par les traitements conventionnels comme la chimiothérapie ou les rayons émettent des signaux particuliers que le système immunitaire, stimulé par l'immunothérapie, pourrait reconnaitre encore plus facilement", espère Laurence Zitvogel. Avec, donc, une efficacité améliorée. Des essais sont aussi en cours visant à administrer les immunothérapies directement dans les tumeurs, plutôt que par intraveineuse. Les chercheurs espèrent obtenir ainsi une plus grande efficacité, avec encore moins d'effets secondaires.  

Enfin, d'autres freins du système immunitaires ont été découverts ces dernières années, fonctionnant sur le même mode que CTLA4 et PD1. Reste maintenant à voir s'ils peuvent eux aussi être levés : "Cela permettrait sans doute d'agir sur d'autres types de tumeurs", espère Aurélien Marabelle. 

Un Français oublié par l'Académie de Stockholm ?

James P. Allison a été le premier à avoir l'idée de bloquer la molécule CTLA-4 pour que le système immunitaire puisse agir contre les tumeurs. En revanche, c'est... un Français, Pierre Golstein, du Centre d'immunologie de Marseille (Inserm / CNRS) qui avait découvert l'existence de cette molécule, plusieurs années auparavant. "J'essayais de mettre au jour les mécanismes moléculaires par lesquels une cellule comme un lymphocyte T est capable de tuer d'autres cellules. Nous avons découvert plusieurs molécules impliquées, comme CTLA 1, 2 et 3, ainsi que ce CTLA-4, dont nous n'avions à l'époque pas précisément identifié à la fonction", raconte ce chercheur. Son travail fera l'objet d'une publication dans Nature en 1987. Sans cette avancée, très fondamentale, les immunothérapies n'auraient peut-être jamais été découvertes. Mais c'est ensuite une équipe américaine qui montrera que cette fameuse molécule jouait un rôle de régulation du système immunitaire. Avant, enfin, qu'Allison ne mette au point une molécule capable d'en bloquer l'action, et d'inventer ainsi une nouvelle arme contre le cancer.  

Let's block ads! (Why?)

https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/l-immunotherapie-une-revolution-contre-le-cancer_2037800.html

Bagikan Berita Ini

0 Response to "Immunothérapie: Nobel salue une révolution contre le cancer"

Post a Comment

Powered by Blogger.