La première mouture avait récolté 70 000 signatures l'an dernier, mais n'avait pas été reçue par l'Assemblée nationale, qui avait été dissoute avant de pouvoir le faire. Mme Prud'homme revient maintenant à la charge et sa seconde tentative compte maintenant 52 000 signatures — elle continuera jusqu'à la fin de février. Le texte demande essentiellement que les injections de vitamines C puissent être prescrites par des médecins pour soulager leurs patients des effets secondaires (fatigue, douleurs, etc.) de la chimiothérapie.
L'ancien député de Saint-Jérôme, le péquiste Marc Bourcier, avait donné un appui enthousiaste à la pétition originale. Son successeur, Youri Chassin, a l'intention de déposer la nouvelle pétition à l'Assemblée nationale mais, à la CAQ, on insiste pour dire que «déposer» ne signifie pas «appuyer». Si la pétition traverse les étapes pour être reçue par l'Assemblée, alors M. Chassin espère que cela permettra d'aller au fond des choses — ce qui est sage, comme nous le verrons.
Il y a quelque chose d'absolument admirable, disons-le, dans la démarche de Mme Prud'homme. Quand on est déjà accablé par la maladie en plus d'être, de ce que je comprends, doublement écrasé par le traitement, trouver l'énergie et le don de soi qu'il faut pour défendre une cause comme celle-là n'est pas donné à tous. Si jamais cela m'arrive, autant vous dire tout de suite de ne pas compter sur moi, je ne crois vraiment pas avoir cette force. Chapeau bas.
Cela dit, la question demeure entière : qu'est-ce qu'on fait avec ça ?
Comme me disait un chercheur en pharmacologie de l'Université Laval il y a quelques années, au sujet de l'effet placebo et des médecines alternatives : «si le patient est sûr que ça lui fait du bien et qu'il tient à continuer, qu'est-ce que je suis supposé lui répondre ?» Go for it, bien sûr. Sur le plan individuel, si Mme Prud'homme ressent un réel soulagement grâce à ces injections, alors tant mieux pour elle. Qu'elle continue d'y recourir autant qu'elle juge en avoir besoin. (Elle doit apparemment se rendre en Ontario puisque ces injections ne seraient pas disponibles au Québec, mais ce n'est pas tout à fait vrai, selon ce qu'a appris le toujours pertinent et rigoureux Pharmachien.)
Maintenant, pour faire entrer les injections massives de vitamines C (IMVC, on parle de doses de l'ordre 25 grammes, alors que le corps humain en contient autour de 1 à 2 g normalement) dans les protocoles de soins et pour que ce soit couvert par le public, il faut plus que le témoignage d'une seule personne — même si je n'ai aucune raison de le mettre en doute. Il faut pouvoir démontrer raisonnablement bien que c'est efficace et que cela ne met pas le patient en danger.
Et c'est ici que je décroche. Comme l'explique le Pharmachien, il existe bel et bien des études qui suggèrent que ces IMVC améliorent la qualité de vie des patients — cette revue de littérature en mentionne plusieurs. Mais elles sont de piètre qualité : parmi les lacunes notées au tableau 2 de la revue, soulignons qu'aucune de ces études n'a comparé la vitamine C à un placebo. Ça, messieurs dames, c'est un trou gargantuesque dans les données et dans le fondement scientifique de la pétition. On peut obtenir un effet placebo à partir d'à peu près n'importe quoi : juste un verre d'eau avec une petite tape sur l'épaule peut suffire. C'est pour cette raison que les essais cliniques comparent toujours la molécule qu'ils testent avec un placebo (des pilules de farine, par exemple). Sans cela, une médicament/traitement ne peut pas prétendre être plus efficace qu'un verre d'eau. Et les IMVC ne le peuvent pas, du moins pas en date de 2014.
Il demeure possible, remarquez bien, que les injections massives de vitamines C finissent par faire leurs preuves. C'est même à souhaiter si elles ont toutes les vertus qu'on leur prête. Et il ne serait pas totalement invraisemblable de penser qu'elles fonctionnent : la revue de litté parle de carences fréquentes de vitamine C chez les patients en chimiothérapie. Mais voilà, cette même revue indique qu'aucune étude sur les IMVC n'a mesuré les taux de vitamines C chez les patients au départ... Alors on n'est pas rendu à dire que c'est efficace ni pourquoi.
En outre, il existe aussi des études qui suggèrent de mauvaises interactions entre la vitamine C et certains traitements de chimio — voir ici et ici, notamment. En gros, la vitamine C réduirait l'efficacité de certains médicaments anti-cancer.
Au final, le portrait d'ensemble qui se dégage des résumés que l'on trouve sur les sites de Cancer Research UK et du National Cancer Institute (États-Unis) est justement celui-là : pour l'heure, on est devant un paquet d'études plus ou moins contradictoires.
Alors malgré toute l'admiration que je dois à Mme Prud'homme, qu'est-ce que des médecins et des autorités de santé publique sont supposés faire dans de telles conditions ? Prescrire/rembourser de fortes doses de vitamine C pour améliorer la qualité de vie du patient, sans avoir de raison solide de penser que cela va marcher et tout en espérant que cela n'empêchera pas le traitement principal de lui sauver la vie ? Il est évident qu'ils ne peuvent pas faire ça — et c'est une excellente chose qu'ils ne le puissent pas, d'ailleurs.
Cela ne signifie pas que la cause de Mme Prud'homme est forcément mauvaise. J'ai juste l'impression que sa pétition est prématurée. Quand on aura des preuves raisonnables de l'efficacité de la vitamine C pour améliorer la qualité de vie des patients, et quand on saura avec quels types de chimio l'utiliser et avec lesquels on doit l'éviter, alors là, oui, il faudra que les médecins puissent en prescrire et que la RAMQ rembourse le tout. Mais on n'est pas rendu là.
Il faudra faire des essais cliniques en bonne et due forme pour y arriver. C'est en partie ce que la pétition de Mme Prud'homme demande, soulignons-le — «documenter les données sur l’innocuité et l’efficacité de la vitamine C à haute dose» —, mais elle va aussi plus loin en demandant d'autoriser les médecins à en prescrire et à la RAMQ d'en assumer les coûts. Sur ces deux points-là, on met la charrue devant les bœufs.
Et il y a, dans cette histoire, des médias et des personnalités publiques qui ont appuyé la pétition et/ou ont donné beaucoup de temps d'antenne à Mme Prud'homme, manifestement sans grands égards à la valeur scientifique de ce qu'elle avance. Il y a des examens de conscience à faire là — mais c'est une autre histoire.
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