
Jean Roy, un fonctionnaire à la retraite de Gatineau, en a fait la désespérante expérience.
Sa femme Francine a le cancer. Il la soignait à la maison. Mais son état de santé se dégradait. Il a décidé de l’emmener à l’hôpital de Gatineau au début du mois de mai. Il ne s’est pas encore remis des 20 jours qui allaient suivre.
Ce jour-là, M. Roy avait décidé de confier sa femme au système de santé. À 65 ans, avec un dos fragile, il ne s’en sentait plus la force. C’était un dimanche, son médecin de famille était en congé. Pas le choix, il s’est présenté à l’urgence. Le voilà avec sa femme qui se sent tout croche, assise tout croche sur une chaise de l’urgence.
À l’hôpital, Francine n’est pas un cas urgent. Elle ne tousse pas. Ne fait pas de fièvre. « Elle n’a que le cancer », lâche M. Roy. Après quelques heures d’attente, ils sont repartis. Ils ont fait comme les 22 000 patients qui ont rebroussé chemin sans voir un médecin, cette année, dans les urgences de l’Outaouais.
Ils sont revenus le mardi suivant. Non sans avoir pris soin de téléphoner d’abord à l’oncologie. Une infirmière-pivot leur dit que cette fois, on les attend à l’urgence. Mais quand ils se présentent, l’infirmière au triage n’est pas au courant. On leur demande de prendre un billet... et d’attendre.
M. Roy s’impatiente. Il est triste, désemparé, fatigué. « C’est comme si personne ne parle à personne dans ce réseau-là. J’ai répété notre histoire je ne sais combien de fois. Lorsque tu racontes ce qui se passe, tout le monde semble l’inscrire dans un ordinateur. Mais personne ne se parle, pas même les ordinateurs ! »
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À force d’insister, M. Roy obtient gain de cause. L’infirmière parle à quelqu’un, qui parle à quelqu’un... et sa femme est admise. L’oncologue qui passe en soirée a le mauvais dossier. Il repart, revient. Il découvre un scan dans le dossier qui date du 4 mai, soit 25 jours plus tôt. « Tiens donc, madame, vous avez des taches blanchâtres à la base du cervelet droit... »
L’oncologue arrange un rendez-vous avec le neurologue, deux jours plus tard. Encore là, on leur dit que tout est arrangé, qu’on les attend. Le jour dit, personne n’est au courant. Le neurologue n’est pas là. M. Roy s’arrache les cheveux. Il doit répéter son histoire, des gens pitonnent sur leurs ordinateurs…
Quand la neurologue finit par arriver, le verdict tombe : Francine a de multiples métastases au cerveau. Il lui reste 8 mois à vivre. Le couple est sous le choc. « En même temps, à partir de ce moment-là, on savait où on s’en allait. Tout ce qu’on voulait, c’était du confort et de la sérénité », raconte M. Roy.
Ils n’y auront pas droit. Pas tout de suite.
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Les 19 jours suivants, ils les passeront au 5e Nord de l’hôpital de Gatineau. Le monsieur m’a raconté le personnel débordé, parfois blasé. Les fois où il a retrouvé sa femme baignant dans son urine. Les fois où il a dû s’assurer que la prescription de médicaments du médecin avait été commandée. Les fois où sa fille et lui ont changé les draps et donné un bain à Francine. « Pour l’avoir vécu, dit-il, il y a des gens qui n’ont pas d’affaire dans le réseau de santé ».
Là, j’ai senti le besoin de prendre la défense du personnel soignant. Eux aussi font les frais d’un système hospitalier débordé de toute part. J’ai dit que les hôpitaux ont été conçus pour soigner des cas graves. Ils sont mal adaptés aux cas de santé mentale, aux malades chroniques qui encombrent de plus en plus les urgences…
Je n’ai pas convaincu M. Roy. « On ne devrait pas avoir à vivre ça, insiste-t-il. Je veux être là pour ma femme. En tant que mari. Pour lui tenir la main. Quand je suis rendu à me badrer des prescriptions de médicaments, c’est anormal. Je ne suis ni docteur ni infirmier. »
Plus tôt cette semaine, Francine a quitté l’hôpital pour un centre de soins palliatifs de la Petite Nation. « Ils lui ont découvert une infection urinaire qui était passée inaperçue à l’hôpital, déplore M. Roy. Pour le reste, c’est toute la différence du monde. On nous prend en charge. »
Son épouse et lui obtiennent enfin ce qu’ils souhaitaient : sérénité et confort.
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