Mourir sur un brancard, dans un couloir, en attendant d’être ausculté. Les urgences hospitalières françaises sont malades. En l’espace d’une semaine, mi-mars, deux femmes, âgées de 73 et 60 ans, sont décédées dans des services d’urgences surchargés.
À Reims, au moment de l’admission de la septuagénaire, qui a succombé à un arrêt cardiaque, l’hôpital faisait face un surcroît d’activité, avec quatre patients en situation d’urgence devant être soignés en priorité, a fait savoir la direction de l’établissement.
À Rennes, le décès de la sexagénaire, souffrant de douleurs abdominales, s’est produit "dans une période de très forte tension" avec "une centaine de patients présents sur le plateau des urgences et 27 à l’accueil", qui attendaient d’être pris en charge, a expliqué le directeur des soins. Une situation devenue presque banale dans ce service qui enregistre une "augmentation d’activité continue" depuis septembre et des "pics d’activité" impossibles à prévoir.
Dans les deux cas, la presse s’est emparée du sujet, la justice a ouvert une enquête. Les décès des deux femmes ont mis en lumière la crise que traversent les urgences hospitalières.
"Depuis longtemps, on prévient que situation est dangereuse. Là, on en a non seulement un témoignage, mais aussi une première vision de l’ampleur du problème", regrette François Braun, président de Samu-Urgences de France. Depuis début janvier, son association a lancé le site "No Bed Challenge" pour chiffrer le manque de lits et illustrer cette situation alarmante. Entretien.
Sud Ouest. On parle de patients passant la nuit sur un brancard. Pour ceux qui en sont préservés, décrivez-nous la situation.

Crédit photo : Archives Pascal Couillaud
François Braun, président de Samu-Urgences de France. Les patients sont confrontés à deux problèmes. Il y a déjà la surcharge, avec des malades qui n’arrivent plus à rentrer dans les services d’urgence tellement il y a de monde. S’ils attendent pour intégrer le service, ils mettent du temps à voir un médecin. Or, ce temps, on ne le rattrape jamais. C’est dramatique.
Ensuite, lorsque les patients sont examinés, il y a ceux à qui les médecins annoncent qu’ils doivent être hospitalisés. Mais l’établissement n’a pas de place. Les patients passent la nuit non pas dans un lit mais sur un brancard, les uns à côté des autres, dans un service d’urgence qui n’est pas organisé pour servir des repas. Il n’y a pas de salle de bains pour se laver. Vous imaginez un peu ce que ça représente ?
Le 10 janvier, vous avez lancé le site "No bed challenge", alimenté par les établissements de santé volontaires, pour chiffrer le manque de lits. Dans le Sud-Ouest, au moins une dizaine d’hôpitaux participe (Libourne, Bordeaux, Arcachon, Agen, Angoulême, Bergerac, Saintes, Royan Bayonne entre autres). Quels enseignements tirez-vous de ces chiffres ?

C’est la première fois qu’on a un chiffre objectif, basé sur la déclaration des urgentistes. Le côté classement est fait pour sensibiliser. Le chiffre est fait pour marquer les esprits.
Selon le décompte effectué sur une centaine d’hôpitaux participants à l’opération, 20 000 personnes ont passé une nuit sur un brancard depuis le début de l’année. Si on multiplie ce chiffre par le nombre de services d’urgence, on arrive à 115 000 – 120 000 personnes. J’espère que ça fait réagir.
Quels effets cette surcharge peut-elle avoir sur les patients ? Et les soignants ?
Les risques pour les patients ont été largement démontrés : 9 % d’augmentation de la mortalité globale, 30% de l’augmentation de la mortalité pour les cas plus graves. Et on ne parle que de la mortalité. Il y a aussi les complications, les retards de prise en charge, les retards de traitement de la douleur.
Quand ces épisodes de surcharge s’étalent sur deux ou trois semaines, les équipes sont un peu souples. Là, ça fait deux mois qu’il dure. Les équipes sont complètement épuisées. Les effectifs, eux, ne sont peu ou pas renforcés. Dans les services d’hospitalisation, quand on rajoute un lit dans une chambre pour installer un deuxième malade, ce qui est le cas dans beaucoup d’hôpitaux, on n’augmente pas pour autant le nombre d’infirmières ou d’aides-soignants. C’est un modèle qui arrive à bout de souffle et qui a une incidence sur l’ensemble de l’hôpital et qui épuise l’ensemble de l’hôpital.
Le phénomène de saturation n’est pas nouveau mais semble inhabituel à cette période.
"Ce qui se passe cette année est différent"
Effectivement, la situation aux urgences est un peu devenue un marronnier. En été, il fait chaud, il y a des problèmes de déshydratation. En hiver, il y a des problèmes de grippe. Ce qui se passe cette année est différent. L’épisode principal de grippe est loin derrière nous maintenant. Pour autant, la situation n’a cessé de continuer à s’aggraver. L’épisode épidémique n’est donc pas la seule explication.
Comment expliquez-vous cette "surchauffe" ?
De plus en plus de patients nécessitent une hospitalisation parce qu’ils souffrent de pathologies chroniques. Ces pathologies chroniques s’aggravent brutalement au cours de phénomènes assez banals, la grippe n’était par exemple pas très très méchante cette année.
Or, ces personnes plutôt âgées et polypathologiques, on en a de plus en plus. D’une part, parce que la population vieillit, et d’autre part, parce ce qu’on soigne mieux les épisodes aigus, mais on crée des pathologies chroniques derrière. Et ça, ce n’est pas quelque chose qui date de cette année.
Cet hiver, on a eu cet effet de blocage car les hôpitaux ne sont pas organisés pour prendre en charge ce type de patients. C’est ça, le principal message à passer.
Lors des épisodes de bronchiolite pour les bébés, avez-vous déjà entendu les pédiatres dénoncer une surcharge des urgences pédiatriques ? Non. Parce qu’ils se sont adaptés. Les pédiatres ouvrent des lits supplémentaires lors des périodes épidémiques, ce qui leur permet d’absorber l’augmentation de flux. Pour les adultes, on n’est pas capable de l’anticiper.
Pourquoi ?
Parce que l’hôpital a été conçu autour de services d’hyperspécialités, avec un service d’urologie, de cardiologie, de pneumologie, etc. Ça a et ça fait toujours la pertinence, la grandeur du service public hospitalier français, qui soigne très bien ce type de pathologies. On voit l’amélioration du taux de guérison du cancer etc.
Mais prenons l’exemple d’une personne âgée souffrant d’une infection urinaire. Si cette personne est aussi diabétique, qu’elle présente une insuffisance cardiaque et/ou respiratoire, cette infection urinaire va entraîner une complication des différentes pathologies.
Alors qui va la prendre en charge ? Le pneumologue va dire : ce n’est pas pneumologique, le cardiologue va dire : ce n’est pas cardiologique, l’endocrinologue va dire : non ce n’est pas que le diabète, l’urologue va dire : ça ne s’opère pas, ce n’est pas chez moi. Je schématise, mais c’est un petit peu ça le problème. Du coup, elle reste aux urgences.
Comment remédier au problème ?
On a besoin de services adaptés pour prendre en charge ces patients, qui ne sont pas tous des services de gériatrie, mais qui doivent être des services dits de médecine polyvalente. Avec l’augmentation du nombre de patients polypathologiques, l’hôpital doit se restructurer, autour de leurs besoins.
La semaine dernière, 97 hôpitaux sur 650 avaient activé le plan "hôpital sous tension". Mercredi, le ministère de la Santé nous donnait le chiffre de 85 établissements sous tension. Est-ce le début d’un retour à la normale ?
Leur chiffre ne veut pas dire grand-chose. Tous les hôpitaux ne se déclarent pas. Ce sont des histoires de conflits d’intérêts à l’intérieur des hôpitaux. Mais, clairement, il y avait plus de 100 établissements en surcharge.
Après, c’est vrai, on a l’impression d’une décrue. Les chiffres de "No Bed Challenge" (basés sur une centaine d’établissements d’urgences) sont en baisse. La semaine dernière, on était plutôt à 300 patients ayant passé la nuit sur un brancard, on est tombé à 253 mercredi matin et à 154 jeudi. Derrière cette diminution, il y a peut-être aussi un effet médias. Toute la presse en parle. Certains renoncent peut-être à venir aux urgences.
Que dire aux patients qui s’interrogent : aller ou non aux urgences ?
Attention aux discours : 'les urgences sont saturées, il ne faut pas y aller’. Non, il faut y aller mais à bon escient. Et pour y aller à bon escient, soit vous voyez votre médecin généraliste qui vous y envoie si nécessaire. Soit, si vous ne pouvez pas le voir, vous appelez le Samu, le 15. Si vous devez aller aux urgences, il vous enverra une ambulance. Ce serait dramatique que des gens s’autocensurent.
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